LiteraruS

Историко-культурный

и литературный

журнал

на русском языке

Издается в Финляндии

с 2003 года

LiteraruS on kirjallisuuslehti venäjän- ja suomenkielellä

LiteraruS is a literary Magazine in Russian and Finnish

Издание журнала «LiteraruS-Литературное слово» со дня основания осуществлялось при финансовой помощи Министерства образования и культуры Финляндии, а с 2008 года несколько раз поддерживалось грантами Фонда «Русский мир»

opm rulit Paris-Sorbonne

David Giumond

Le prince,

la comtesse, lambassadeur

et les képis blancs

La Légion étrangère, arme délite par excellence, a depuis toujours compté dans ses rangs des personnalités exceptionnelles. Originaires de la Grande Russie, trois dentre-elles y ont marqué leur passage dune empreinte indélébile, contribuant largement au renom de cette troupe prestigieuse. Cest leur parcours pour le moins atypique que nous vous présentons aujourdhui.

Le prince Amilakvari

Descendant direct des seigneurs du royaume de Géorgie, le prince Dimitri Amilakvari naît à Gori le 31 octobre 1906. La révolution de 1917 obligeant sa famille à lexil, Dimitri, alors âgé de onze ans, arrive à Istanbul avec sa mère. Il y demeure six années et fait ses études dans une institution britannique.

Le baptême du feu

En 1922, sa famille sinstalle en France. Dimitri sintéresse au métier des armes et entre en 1924 à lÉcole spéciale militaire de Saint-Cyr, en qualité délève-officier étranger. Deux ans plus tard, il est affecté au 1er Régiment étranger dinfanterie, en Algérie. En 1929, il est muté avec le grade de lieutenant au 4e Régiment étranger stationné à Marrakech. A cette époque, lEmpire chérifien nest pas totalement pacifié, des zones de dissidence restant à réduire dans lAtlas. Cest ainsi que le 30 mai 1932, le 1er bataillon du 4e Régiment étranger est chargé doccuper le plateau des Izeroualem, sur lequel a été signalée une forte concentration ennemie. Pour le lieutenant Amilakvari cest le baptême du feu et une première action déclat, sanctionnée par une citation. A la tête de ses légionnaires, il participe ensuite à toutes les opérations dans le sud du Maroc. Il sillustre encore au cours des combats particulièrement violents daoût et de septembre 1932. Nommé capitaine le 1er janvier 1937, il est affecté au 1er Étranger.

Chevalier de la Légion dhonneur

Après la déclaration de guerre, le 20 février 1940 un bataillon de marche est formé à Sidi-bel-Abbès, en Algérie et un second à Fès, au Maroc. Ils sont groupés sous lappellation de 13 e Demi-brigade de montagne de Légion étrangère (DBMLE) destinée à combattre en Finlande. La 13e DBMLE, future 13e Demi brigade de Légion étrangère (DBLE), est finalement dirigée sur la Norvège. Volontaire, Amilakvari est affecté au 2e bataillon ou il prend le commandement de la compagnie daccompagnement. Entre temps, il est devenu français par un décret de naturalisation. La demi-brigade embarque à Brest et cingle vers la Norvège. Le 13 mai, cest le débarquement de vive force à Bjervik face aux Allemands qui tiennent les positions défensives. Le lendemain, bien que blessé, il participe aux combats pour la conquête du port de Narvik. Pour son comportement héroïque sur les côtes norvégiennes, il sera fait chevalier de la Légion dhonneur

Face aux troupes de Rommel

Mais en France la situation est grave. Lannonce de la demande darmistice jette la consternation dans les rangs du corps expéditionnaire de Norvège. A son retour, Amilakvari fait partie de ces Français qui, refusant la défaite, rejoignent à Londres le général de Gaulle. Pour le chef des Français libres (FFL), il sagit de continuer la lutte et de rallier à sa cause les pays constituant lEmpire colonial français. Suit une longue série de combats jalonnant le parcours des FFL à la recherche de soutien dans la France doutre-mer. Après léchec devant Dakar, les FFL rallient le Cameroun puis sont engagés en Érythrée contre les Italiens ; la 13e DBLE participe à la prise du port de Massaoua, le 8 avril 1941. DÉrythrée, Amilakvari promu chef de bataillon et ses hommes sont engagés dans la campagne de Syrie. Le 21 juin, ils entrent dans Damas. Nommé lieutenant-colonel, il prend le commandement de la 13e DBLE le 19 octobre 1941. Après la traversée de la Palestine, du Sinaï et de lEgypte, le régiment se trouve, en janvier 1942, face aux troupes de Rommel au pied du plateau de Cyrénaïque. En juin il participe au fait darmes de Bir Hakeim et à la sortie de la garnison encerclée ; la 13e DBLE y est en première ligne et subit de lourdes pertes. Ramenée à larrière pour se reconstituer, la brigade des Français libres accueille le général de Gaulle le 10 août, en Égypte. Au cours de la prise darmes, le lieutenant-colonel Amilakvari est fait Compagnon de la Libération.

Ultime combat

Au mois doctobre la 13e DBLE, rattachée à la VIIIe Armée britannique, prépare une attaque sur el Himeimat, à lextrémité sud du dispositif anglais. Amilakvari doit faire man?uvrer ses bataillons pour contourner les défenses ennemies puis attaquer les flancs dun plateau nommé lobservatoire . A 23h00, un premier champ de mines allemand est franchi. Le 24 octobre, à 1h00 du matin, le 1er bataillon attaque, mais il se heurte à des falaises à pic, battues par des mitrailleuses qui tirent depuis des grottes aménagées par lennemi et ne peut atteindre son objectif. A 5h00, le 2e bataillon parvient à prendre pied sur le plateau mais avec le jour qui se lève, les blindés allemands contre attaquent ; faute dappui il est contraint de se retirer. Jusquà 9h00, lartillerie et les mortiers ennemis se déchaînent sur les positions de la demi-brigade. Le lieutenant-colonel Amilakvari donne alors lordre de se porter plus en arrière pour occuper une position intermédiaire favorable. Profitant dun instant de répit il se rase et dit à son entourage : Lorsque lon risque de comparaître devant Dieu, il convient de se mettre en tenue convenable . Une heure plus tard, une salve de quatre obus lencadre en explosant. Portant la main à son cou, il sécroule, mortellement atteint.

Chef de guerre prestigieux, intrépide, animé dun profond sens humain, il avait une reconnaissance infinie pour la France, sa patrie dadoption. Il aimait à répéter à ses légionnaires : Nous, étrangers, navons quune seule façon de prouver à la France notre gratitude pour laccueil quelle nous a réservé : nous faire tuer pour elle .

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La comtesse du Luart

Leila Hagondokoff, née à Saint-Pétersbourg le 6 février 1898, est issue dune famille princière à lesprit militaire très marqué. Très tôt elle décide de se consacrer aux blessés de guerre et aux malades. A 17 ans, elle est infirmière à bord des trains militaires russes pendant la guerre russo-japonaise puis, à 19 ans, dans les hôpitaux de la Mer Noire, à titre bénévole.

Départ forcé

En 1917, Leila épouse un de ses grands blessés, le capitaine Bajenoff, officier de la Garde impériale. La Révolution doctobre éclate, une fusillade se fait entendre pendant la cérémonie de son mariage. Peu après, ses parents se réfugient en France tandis quelle séchappe avec son mari par le Transsibérien et gagne Shanghai. Au cours du voyage elle met au monde un garçon, Nicolas. En Chine, le capitaine Bajenoff meurt rapidement des suites de blessures dont il sétait incomplètement remis. Cinq ans plus tard, elle rejoint sa famille à Paris et trouve un emploi chez Chanel.

Là ou le combat fait rage

Le 23 août 1934, elle épouse le comte Ladislas du Luart qui encourage ses actions dentraide. Pendant la guerre dEspagne elle crée, non sans difficultés, une formation chirurgicale mobile. Elle comporte des tentes-hôpitaux et un centre opératoire monté sur camion et rapidement opérationnel. Afin de conserver son indépendance, elle ne porte que des vêtements civils et refuse tout grade militaire. En 1940, lors de linvasion allemande, elle se replie en zone libre. Lannée suivante, elle part pour lAlgérie où elle intervient avec sa formation sur les chantiers de la voie ferrée Méditerranée-Niger, où une épidémie de choléra sest déclarée.

Marraine du Royal étranger

Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 en Afrique du Nord, les forces alliées entendent chasser les Allemands de Tunisie. La comtesse du Luart est en première ligne, auprès du 3e Régiment étranger dinfanterie de marche. Été 1943, la campagne de Tunisie terminée, les unités de Légion venues du Maroc regagnent leurs garnisons. Lantenne chirurgicale arrive à Rabat où le 1er Régiment étranger de cavalerie (REC) est en cours de réorganisation. Le colonel Miquel, chef de corps du Royal étranger (1er REC), linvite à une prise darmes organisée en son honneur. Au cours de cette cérémonie, il lui demande si elle consentirait à devenir la marraine du régiment : elle accepte sans hésiter. Pour Noël, elle fait venir des États-Unis des cadeaux destinés à tous les légionnaires du 1er REC. Mais elle ne peut procéder elle-même à la distribution, le général Juin lui ayant demandé de le suivre en Italie, où le Corps expéditionnaire français est engagé. Au cours de cette campagne, son antenne chirurgicale est très sollicitée. Madame du Luart est partout, secourant les blessés en péril.

Toujours présente pour ses légionnaires

Quelques semaines après la prise de Rome de juin 1944, le Corps expéditionnaire français est réorganisé pour intégrer le corps de débarquement en formation. La comtesse profite de ce répit pour visiter le 1er REC stationné à la frontière algéro-marocaine. A la fin de lannée 1944, lantenne chirurgicale est engagée derrière les unités au combat. Son antenne participe ensuite à la campagne dAllemagne et suit la 1re Armée du général de Lattre en Autriche jusquau 8 mai 1945. La guerre terminée, le 1er REC regagne sa garnison dOujda au Maroc, mais sa marraine ne peut le suivre. Ce nest que lorsque le régiment passe à Marseille, prêt à embarquer pour lIndochine pour Noël 1946, quelle le retrouve sans pouvoir le suivre en Extrême-Orient. Pendant la guerre dAlgérie, elle crée à Alger un centre de repos et de détente pour les légionnaires du 1er REC. Fonctionnant de 1956 à 1960, il peut accueillir jusquà 400 permissionnaires. Avec la fin de la guerre, madame du Luart doit quitter lAlgérie ; le centre est fermé. A partir de linstallation du 1er REC à Orange, en 1967, la marraine des légionnaires cavaliers honorera le régiment de sa présence à loccasion de toutes les grandes fêtes.

Le 21 janvier 1985, la comtesse du Luart séteint à lâge de 87 ans. Ses obsèques solennelles se déroulent en léglise Saint-Louis des Invalides, léglise des soldats. Elle est portée par six légionnaires du 1er REC au milieu de centaines de ses filleuls qui la pleurent comme une mère. Elle repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, à Paris.

Brigadier-chef dhonneur du 1er REC la comtesse du Luart était commandeur de la Légion dhonneur et Grand officier de lOrdre national du Mérite.

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Lambassadeur Pechkov

Né le 16 octobre 1894 sous le nom de Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov, il est le frère aîné de Yakov Sverdlov, un des futurs chefs de file du mouvement bolchevique, puis haut responsable de lUnion Soviétique. En 1896, madame Gorki rencontre la famille Sverdlov dont elle devient rapidement une amie proche. Afin de contourner la loi tsariste interdisant aux juifs dhabiter les grandes agglomérations de Russie, Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov se fait baptiser selon le rite orthodoxe et change de nom. Maxime Gorki, de son vrai nom Pechkov, accepte dêtre son parrain et Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov devient alors pour létat-civil, Zinovi Pechkov.

Le manchot magnifique !

Zinovi passe une jeunesse tumultueuse dans une Russie déchirée et aux quatre coins de lEurope. En 1904, il émigre au Canada mais au bout de deux ans il rejoint Gorki à Capri. Arrivé en France, il est parmi les premiers volontaires étrangers à sengager dans les rangs de la Légion étrangère pour la durée de la guerre. Le 21 octobre 1914, il est nommé légionnaire de 1re classe au 2e Régiment de marche du 1er Étranger qui monte au front. En avril 1915, il est promu caporal. Le 9 mai, il participe à la tête de son escouade à lattaque des Ouvrages blancs sur le front dArtois. Blessé au cours de laction, il perd un bras et reçoit la Médaille militaire. Dautres se seraient contentés de cette première expérience, mais Zinovi Pechkov sengage à nouveau comme 2e classe en juin 1916. Comme son handicap physique lempêche de participer directement aux combats il a un poste dinterprète. A ce titre il est promu officier et part en mission aux Etats-Unis et en Russie. Chevalier de la Légion dhonneur en 1917, Pechkov effectue plusieurs missions diplomatiques en Union soviétique et en Roumanie. En 1920, il est officier de liaison à Erevan auprès du haut-commissaire de France dans le Caucase.

La Légion au Maroc

La guerre terminée, linaction lui pèse autant que la nostalgie de la Légion étrangère. Capitaine depuis deux ans, il retrouve la Légion en 1922 pour un long séjour dans les rangs du 4e puis du 1er Régiment étranger. Ayant participé aux opérations contre les dissidents marocains sur la Haute Moulaya et à Anoufi, il reçoit en 1923 une première citation au titre des théâtres dopérations extérieurs. Affecté ensuite à la 22e compagnie du 1er Étranger il participe à la guerre du Rif contre Abdel Krim. De nouveau blessé au Maroc en 1925, à Bab Taza, il trompe son ennui en rédigeant ses souvenirs pendant sa convalescence. Ces derniers seront publiés sous le titre La légion au Maroc . De nouvelles missions lappellent à létranger avant quen septembre 1930, il ne rejoigne le Levant comme chef de bataillon au II/1er Étranger. A loccasion dun nouveau séjour au Maroc, il commande le 4e bataillon du 2e Étranger pour quelques mois jusquà un nouveau départ en Syrie pour une autre mission. En 1937, il revient au Maroc prendre le commandement du 3e bataillon du 2e Étranger. Mais le temps le rattrape et au mois daoût 1940, il quitte définitivement la Légion atteint par la limite dâge. Il aurait pu cette fois-ci jouir dun repos bien mérité

Convaincre Tchang Kai-Chek

Mais larmistice en France vient dêtre signé et, sans hésiter, il rejoint lAngleterre et les Forces française libres du général de Gaulle. Ayant eu tout au long de sa carrière militaire maintes occasions dexercer ses talents de diplomate, cest tout naturellement que le chef des FFL fait de Pechkov son ambassadeur en Chine auprès de Tchang Kai-Chek. Il y accueille les rescapés du 5e Régiment étranger arrivant du Tonkin en avril 1945. Après la victoire, Pechkov reste en Extrême-Orient en qualité de chef de la mission française à Tokyo où il devient un grand ami du général américain Mac Arthur. Son activité remarquable au Japon lui vaut de recevoir les insignes de Grand croix de la Légion dhonneur le 30 juin 1947. A son retour en France Pechkov, alors âgé de 80 ans, reçoit du général de Gaulle une mission particulièrement délicate : celle de se rendre auprès de Tchang Kai-Chek et de lui expliquer les raisons pour lesquelles la France vient de reconnaître le régime communiste de la Chine de Mao Tsé Toung. Il sacquitte de cette dernière mission avec brio et à son retour prend sa retraite. Vivant seul dans son petit appartement parisien, le général Pechkov vivra des heures de profonde solitude.

Un dimanche de novembre 1966, il se sent mal. Refusant lambulance qui vient le chercher, il se rend en taxi à lhôpital américain de Neuilly. Sa joie est grande quand il apprend que la femme russe à laccueil est comme lui originaire de Nijni Novgorod. Sentant quil va mourir, il demande que lon fasse venir son ami le prêtre orthodoxe prince Nicolas Obolenski qui lui fermera les yeux lorsque le lendemain, lundi 27 novembre 1966 à 21h00 il rendra le dernier soupir. Ses obsèques sont célébrées le 30 novembre en léglise orthodoxe de la rue Daru à Paris. Son cercueil est porté par huit légionnaires en tenue de parade. Sur sa tombe au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois figure une seule inscription : Zinovi Pechkov - Légionnaire .

Aujourdhui encore ces trois personnalités hors du commun, par leurs actions et leur attachement à la France symbolisent bien lamour et la fraternité qui unissent deux peuples que tout pourrait opposer, mais que les forces du c?ur et de lamitié rapprocheront toujours.

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